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De la critique du travail à l’abolition de la société marchande

Exposé de Norbert Trenkle, juin 2003

1. Les limites du néolibéralisme et du néokeynesianisme et la fin de la politique

Nous assistons ces temps-ci dans toute l’Europe à une monstrueuse aggravation de la dérégulation libérale des marchés du travail, et au démantèlement total des systèmes de protection sociale. En France et en Autriche par exemple, on programme d’énormes restrictions des retraites. En Allemagne, on supprime les aides aux chômeurs, le secteur des emplois peu rémunérés s’étend toujours plus et les assurances de santé sont toujours plus privatisées. Ce qui, à cet égard, se passe en Italie, je n’ai pas besoin de le dire. Certes, la perspective est différente, parce que l’Etat social a toujours existé, au moins dans les grandes lignes, mais la tendance est la même.

Toutes ces mesures, nous dit-on, servent apparemment seulement pour le bon motif de surmonter la crise structurelle du capitalisme, d’éliminer le chômage massif et ainsi, sur le long terme, de sauver aussi la « substance » d’un système de protection sociale que – c’est vraiment très regrettable ! – l’on doit d’abord détruire. Qu’il n’y a là que pure rhétorique de propagande, ce n’est que trop évident. Plus de 20 ans d’expérience du néolibéralisme nous montrent qu’il n’est même pas capable de tenir ses promesses – de toute façon douteuses – pour résoudre la crise. Au contraire, partout dans le monde, il a accéléré de manière démente le processus de la crise sociale et économique et il a précipité les masses dans la misère. Le résultat de la politique néolibérale, on le sait, c’est la destruction généralisée des relations économiques, des infrastructures économiques et des structures sociales, surtout dans les pays de la périphérie du Sud et dans l’espace de ce qui fut jadis le « socialisme réel ». Mais aussi, de plus en plus, dans les centres, jusqu’ici privilégiés, du marché mondial : l’Union Européenne, les Etats-Unis et le Japon. Quand les propagandistes du néolibéralisme prétendent obtenir des succès, ou bien il s’agit de pures manipulations des statistiques, ou bien cela repose sur une exclusion des chômeurs, rejetés hors du système de protection (qu’il s’agisse des indemnités de chômage ou de toute autre aide publique) vers des salaires de misère, le secteur informel et une « indépendance » précaire. Aux Etats-Unis, il faut y ajouter l’incarcération massive de plus de deux millions de personnes dans les prisons.

Une raison importante à l’hégémonie, persistante malgré tout, de l’idéologie et de la propagande du néolibéralisme, c’est la faiblesse de son rival politique le plus important : le néokeynésianisme. Celui-ci, certes, critique à juste titre les conséquences catastrophiques de la politique néolibérale, et met en évidence la contradiction éclatante entre ses promesses idéologiques et les résultats obtenus. Mais les concepts néokeynésiens qui y sont opposés comme alternative sont eux-mêmes complètement intenables et condamnés à l’échec. Ils découlent toujours du principe de relancer l’économie au moyen de programmes publics de plans d’investissement et d’un endettement public. Pourtant, — et laissons de côté ce que ces concepts manifestent de fétichisme économique persistant – chacun sait dans le fond que ce n’est pas ainsi que l’on pourra résoudre le problème qui est à la base de la crise structurelle, c’est-à-dire l’exclusion croissante de la force de travail hors des secteurs qui sont au coeur de la valorisation capitaliste. C’est déjà évident du fait qu’en pratique, le keynésianisme n’a jamais vraiment cessé. Bien plus, c’est même souvent une politique super-keynésienne qui a été menée sous l’hégémonie idéologique du néolibéralisme. Ainsi surtout sous Reagan dans les années 80, ou de nouveau maintenant sous Bush qui met sur la table des milliards pour des programmes de dépense publique destinés à relancer la production d’équipements militaires et à sauver les marchés financiers qui tous sont financés par la dette. Et au Japon, depuis 1990, quand la Bourse là-bas s’est effondrée, on établit programme d’adaptation sur programme d’adaptation, pour redonner un élan à l’économie – sans succès durable.

Toutes ces mesures en revanche n’ont eu qu’un effet : enfiévrer la spéculation des marchés financiers et faire monter à des niveau monstrueux l’endettement public et privé. Mais elles n’ont pas pu arrêter et encore moins renverser la tendance de la base structurelle d’un chômage de masse croissant et dépassant le cycle économique ; au mieux, elles purent la freiner provisoirement, en un feu de paille conjoncturel. Après l’écroulement de ce qu’on appelait la new economy – une brève phase d’élan économique simulé – le processus de crise s’impose encore plus durement, même dans les centres du capitalisme. Lorsque les idéologues néolibéraux font maintenant leur propagande, aujourd ‘hui surtout au vu de l’endettement public, en disant qu’il n’y a plus de marge de manoeuvre pour une politique keynésienne, ce n’est que la moitié de la vérité. L’autre moitié, c’est que même le néolibéralisme est incapable de résoudre la crise capitaliste. Pour dire les choses clairement : ce n’est pas seulement que la politique néokeynésienne ou la politique néolibérale se heurtent à leurs limites, c’est que la politique d’une manière générale perd son autonomie relative vis-à-vis du processus économique de crise qui restreint toujours davantage son espace de manoeuvre.

Il faut en chercher la raison dans le fait que la crise actuelle du capitalisme a un caractère tout-à-fait fondamental. Le chômage structurel croissant n’est pas un phénomène superficiel qui pourrait être éliminé par des mesures politiques, il est au contraire le vrai noyau du problème. Ce qui s’y manifeste, c’est que le capitalisme jette définitivement à la fosse ce qui est son fondement, c’est-à-dire la valorisation massive de la force de travail vivante. Et comme la politique repose sur ce même fondement puisqu’elle ne représente rien d’autre que la régulation sociale de la production des marchandises et la valorisation du capital, c’est son sol qui se dérobe sous ses pieds. Dans ces conditions, la politique, de plus en plus, n’est rien d’autre que la simple administration des éléments restants du capitalisme et des segments qui constituent son noyau. Et cette administration consiste en une aggravation croissante des exclusions sociales et ethniques et en une répression policière et militaire toujours plus dure contre ceux qui sont exclus et éliminés. Bien sûr, il y a des nuances dans la gravité avec laquelle ces mesures sont appliquées par les différents gouvernements des différents pays, mais la tendance générale est la même sur l’ensemble du globe. Cela signifie cependant qu’une riposte contre ces développements ne peut pas, au sens strict, être politique : elle doit être antipolitique. Mais avant de m’étendre sur ce que cela signifie, il nous faut encore jeter un coup d’oeil sur le processus de crise et ses significations.

2. La logique tautologique de la production marchande moderne

L’origine immédiate du chômage de masse et de la crise fondamentale qui y est liée c’est – il n’y a aucun doute là-dessus – l’accroissement monstrueux de la productivité à la suite de ce qu’on appelle la troisième révolution industrielle. Cette révolution des forces productives, sur la base de la micro-électronique, a entraîné une restructuration et une rationalisation fondamentales des structures de production, de distribution, des transports et de la communication. Rien que dans les années 1990, il y a eu en Allemagne une augmentation de 70% de la productivité, tandis que dans le même temps le nombre des ouvriers de l’industrie retombait de 4,9 millions à 3,6 millions.

Mais pourquoi donc cette augmentation de la productivité n’entraîne-t-elle pas un raccourcissement du temps de travail et une élévation du niveau de vie matériel pour tous les hommes sur toute la planète ? Pourquoi donc, au contraire, toujours plus d’hommes sont-ils jetés dans la misère absolue, exclus socialement et dégradés en objets de la répression d’Etat, alors que simultanément la pression au travail et celle de la concurrence sont toujours plus dures ? Et pourquoi donc chaque nouvelle avancée de la productivité dans les trente dernières années n’a-t-elle pas entraîné une diminution de la misère du monde mais au contraire son augmentation ? Ces paradoxes n’ont qu’une explication : la logique interne démentielle de la société moderne, c’est-à-dire du capitalisme, ou de la société marchande.

Le but de la production capitaliste n’est pas la production de choses utiles, mais la valorisation de la valeur ou, pour dire les choses autrement : la valorisation du capital. Les marchandises produites le sont dans ce seul but ; elles sont le moyen de l’atteindre et rien d’autre. Il est complètement indifférent de produire du pain ou des fusils d’assaut, ce qui est décisif, c’est que ces marchandises représentent une certaine quantité de valeur et que cette valeur soit, par la vente, réalisée sur le marché. C’est pourquoi Marx dit que sous le capitalisme, il y a production pour la production. Cela signifie qu’on ne produit pas pour satisfaire des besoins concrets, mais que d’une part on encombre le monde de produits dépourvus de sens, au point, on le voit, que des constituants vitaux de la nature sont détruits – tandis que d’autre part les besoins les plus élémentaires restent massivement insatisfaits, parce que les gens concernés sont coupés des circuits de l’argent et des marchandises, et qu’ils n’ont ainsi aucun « pouvoir d’achat ». C’est un mouvement qui n’a de fin qu’en lui-même et de relation qu’avec lui-même. L’origine et la fin de cette forme de production, c’est toujours l’argent. Celui-ci représente le capital avec lequel on commence par acheter des matières premières, des moyens de production et de la force de travail humaine, pour produire des marchandises. Si les marchandises produites peuvent être vendues avec succès, le cycle est bouclé et l’argent retourne à lui-même. Seulement la quantité a changé : l’argent a donné plus d’argent.

Ainsi, la valorisation de la valeur ou du capital est-elle pur mouvement quantitatif. Elle n’a qu’un but, accumuler une quantité toujours plus grande de valeur – représentée sous la forme de l’argent. A cette fin, elle fait abstraction de tous les critères qualitatifs, dans la mesure où ils ne servent pas immédiatement à la valorisation. Elle n’accorde aucun intérêt à des questions comme : qu’est-ce qu’on produit ? comment on produit ? est-ce que des hommes en pâtissent ? est-ce que des constituants vitaux de la nature sont détruits ? etc. Le mouvement tautologique de la valorisation, purement quantitatif, est pour cette raison par essence dépourvue de mesure. Car alors qu’une production tournée vers la satisfaction de besoins concrets est toujours limité par ces besoins justement – par exemple, je ne peux pas manger au-delà d’une certaine limite — , une production qui ne vise qu’à l’augmentation d’une quantité abstraite est poussée à continuer à l’infini. Rien que cela montre la profonde irrationalité de la production marchande moderne. Car elle ne tient pas compte de la destruction catastrophique du monde qui, lui, possède bien des limites naturelles et où, pour cette raison, il ne peut pas y avoir de croissance quantitative à l’infini.

Le noyau de ce mouvement tautologique de la valorisation, c’est la dépense de la force de travail dans la production de marchandises. Car la valeur n’est rien d’autre que la représentation du temps de travail passé : du « travail mort », selon l’expression de Marx. En soi, c’est une représentation démentielle, quasi métaphysique, que la chaise ne soit pas seulement une chose sur laquelle on peut s’asseoir et qu’ un morceau de pain ne serve pas seulement à satisfaire ma faim. Qu’une chaise et que du pain puissent en plus être des représentants d’une catégorie générale-abstraite qu’on appelle « valeur », c’est l’expression d’un rapport social tout-à-fait particulier que Marx nomme fétichisme de la valeur. Mais quand nous disons que la valeur représente du travail passé, ou, pour dire les choses à l’envers : que le travail produit de la valeur, alors cela signifie aussi que le travail est une forme d’activité sociale historiquement tout-à-fait spécifique. Il n’a aucun caractère transhistorique, mais il est la forme d’activité spécifique à la société marchande moderne : le capitalisme.

Cette spécification historique du travail, le fait qu’il soit lié à la société capitaliste, se montre en particulier à son indifférence vis-à-vis de chaque contenu concret d’activité. On met indifféremment dans la catégorie « travail » les activités les plus diverses, comme le montage d’une automobile ou les soins aux personnes âgées ; on fait abstraction des compétences et des qualités matérielles, concrètes et émotionnelles totalement différentes requises par ces activités. Il ne s’agit pas là d’une pure abstraction de pensée – un peu comme on parle de fruits quand on pense à des pommes et des poires – mais d’une abstraction démentielle qui a une réelle efficacité sociale : il s’agit d’une abstraction réelle. On pourrait dire que le travail et la valeur sont de la métaphysique réalisée. Il s’agit de principes abstraits qui ont formé et qui continuent à former la réalité sociale à leur image. Toutes les activités sont réduites à un commun dénominateur abstrait : la dépense de l’énergie humaine au rythme de l’horloge. Elles n’ont d’autre valeur que celle de portions plus ou moins grandes d’unités de temps linéaires et homogènes qui ont servi à la production de marchandises. C’est aussi la raison pour laquelle le critère central pour l’organisation de tout travail, c’est ce qu’on appelle le « performance ».

Et en parlant de performance, on parle toujours de performance horaire : avoir le maximum d’efficacité dans le minimum de temps. Tout le reste, comme par exemple le fait de risquer pour sa santé, de briser des relations personnelles ou l’impossibilité de satisfaire des besoins dans son travail, tout cela ne compte pour rien. Celui qui doit travailler doit aussi faire abstraction de lui-même. C’est pourquoi le travail n’est pas seulement un certain principe économique et une certaine forme d’activité, il exige aussi un certain type d’homme qui possède un certain type de subjectivité : un homme capable d’adapter et de soumettre ses besoins au principe du travail. Plus encore : le parfait travailleur est celui qui y trouve même un supplément de plaisir, qui d’une certaine manière trouve plaisir à l’effort pour être encore plus rapide, toujours plus « performant », et qui doit, même dans son temps libre, être toujours en mouvement, incapable de ne rien faire.

3. Le sujet du travail et le rapport bourgeois des sexes

Il faut malheureusement constater que le capitalisme a particulièrement réussi dans la « production » historique de ce type d’homme. Ce qui paraissait encore épouvantable aux hommes du XVIII° et du XIX° siècle et qu’on ne pouvait leur faire rentrer que par la violence nue (dans les fabriques, les prisons, les asiles de fous, les écoles et à l’armée), est devenu aujourd’hui depuis longtemps une attitude intériorisée, considérée comme allant de soi. Les critères de la performance et de l’assiduité sont partout appliqués, même en-dehors de la sphère du travail stricto sensu, ainsi pour le jardinage dans son propre jardin, pour la manière d’occuper ses temps libres, par exemple dans ce qu’on appelle le fitness, et, last not least, comme critère central pour juger les gens. Ce qui est décisif pour la reconnaissance sociale, c’est toujours que l’on a un travail ou du moins qu’on veuille avoir un travail. Ce que l’on a comme travail définit certes des hiérarchies, mais de manière interne au système du travail comme référence, qui est posé comme principe. Quiconque tombe en-dehors de ce système de référence ou se place délibérément en-dehors est socialement rien. C’est pourquoi les « feignants » sont toujours en danger d’être détruits, aussi physiquement. C’est le noyau structurel du racisme et du darwinisme social.

De plus, cet agencement psycho-social des hommes pour le processus du travail et la société rationalisée marchande est indissociablement lié à l’ « invention » et à la domination des caractéristiques modernes bourgeoises des sexes. Celui qui est citoyen et travailleur est constitué de manière tout-à-fait explicite comme sujet viril, c’est-à-dire qu’il est pourvu de tous les traits caractéristiques de la « virilité » bourgeoise : rationalité, capacité de s’imposer, objectivité, rudesse, absence de scrupules pour les sentiments, etc. Ce sont des caractéristiques indispensables à la mise en condition pour le processus du travail et l’affirmation de soi dans la lutte concurrentielle économique et politique. Y correspond de l’autre côté la « féminité » construite, qui est pourvue des caractéristiques complémentaires : émotivité, irrationalité, empathie, faiblesse, etc.

L’arrière-plan structurel de ces stéréotypes des sexes est une contradiction tout-à-fait fondamentale liée à la forme sociale de la marchandise, de la valeur et du travail. Cette forme est tendanciellement universaliste. Cela veut dire qu’elle cherche à dominer et à intégrer la totalité du monde dans toutes ses manifestations et dans toutes ses expressions. Rien ne doit exister en-dehors d’elle. C’est ce qui fonde le monstrueuse dynamique avec laquelle la société marchande a étendu sa domination sur la totalité du globe. Cet effort boursouflé, et même totalitaire, est mis en échec cependant, non seulement à cause de limites extérieures naturelles et du développement de ses contradictions internes, mais en raison même de ses prémisses de départ. Il est impossible, l’expérience le prouve, de réduire la diversité de l’existence humaine à un unique principe abstrait de forme et de fonction. C’est pourquoi, avec la même ampleur que celle avec laquelle ce principe acquiert une efficacité sociale, une sphère fait scission dans laquelle prend place tout ce qui ne tombe pas dans la forme marchande, tout ce qui n’est pas immédiatement compatible avec elle. Cette sphère est marquée par une détermination sexuelle et donnée comme « féminine », tandis que tout ce qui représente directement la forme marchande apparaît comme « viril » par essence.

La séparation entre sphères qui résulte de cette scission a des effets d’abord — mais pas seulement — sur le plan des activité sociales elles-mêmes, donc sur ce qui est habituellement désigné comme la « division sexuelle du travail ». Il y a en effet toute une série d’activités qui ne se laissent pas, ou de manière très partielle et forcée, cadrer dans la logique du travail abstrait et de la performance horaire. Cela vaut tout d’abord pour les activités inséparablement liées à un investissement directement émotionnel et affectif, comme l’éducation des enfants, le soin aux personnes âgées ou malades, et d’autres encore. Conformément à la scission sexuellement marquée, elles sont surtout « localisées » dans le domaine domestique auquel, structurellement, les femmes sont affectées. Mais au-delà de cette aspect plutôt fonctionnel de la « division sexuelle du travail », la « sphère féminine » est également chargée symboliquement comme constituant le pendant idéalisé de la sphère du travail avec toutes ses contraintes d’efficacité, de lutte, de concurrence et de maîtrise de soi. Elle est le lieu où le « rude travailleur » veut être enfin tout simplement un « être humain » , où il cherche harmonie et attention émotionnelle. En réalité, cette idylle est la plupart du temps plutôt le lieu où l’on décharge les émotions refoulées et les besoins sensuels, y compris la violence psychique et physique.

Cet mise en ordre moderne du rapport des sexes traverse certes des changements historiques déterminés, mais la logique de scission qui se trouve à son fondement reste inchangée. Ainsi, au cours du vingtième siècle, toute une série d’activités ménagères ont été remplacées par des appareils électriques et des plats préparés ou ont été facilitées ; en tant que telles, elles sont partie intégrante de la production marchande. On observe quelque chose d’analogue pour une partie des soins aux personnes malades ou âgées ainsi que pour l’éducation des enfants, qui dans les métropoles capitalistes sont devenus des prestations assurées par l’Etat social – où, c’est caractéristique, des femmes travaillent en majorité. Parallèlement à cela, de plus en plus de femmes ont choisi une activité professionnelle et on a mis en question le caractère indiscutable de la détermination par le sexe. Mais cela n’a pas enlevé sa force au fait que la scission marquée sexuellement soit la structure de base de la société du travail et de la marchandise. C’est particulièrement clair dans le processus de crise. Presque partout dans le monde, on en vient ces temps-ci à une remise en vigueur agressive de l’ordre patriarcal des sexes. Pas seulement sous la forme d’une violence directe des hommes contre les femmes. Les femmes, en règle générale, doivent porter la plus lourde charge de la crise, parce que c’est sur elles que retombent les activités et les compétences que l’Etat ne finance plus. Ce n’est pas un hasard si les nombreux réseaux d’aide et d’organisation dans toutes les régions de crise et de catastrophes sont en majorité portés par les femmes. A l’inverse, les bandes de rôdeurs qui sèment le désordre dans ces régions sont constituées, c’est révélateur, presque uniquement d’hommes. Cela non plus n’est pas un hasard. Car entre la subjectivité des guerriers et celle des travailleurs il y a un profond rapport interne. Et cette subjectivité ne disparaît pas dans le processus de crise : elle devient plus sauvage et manifeste ses pires aspects. Il est important de comprendre cela, car cela montre clairement que l’abolition du travail n’est pas du tout un processus extérieur, mais doit aussi inclure la transformation fondamentale de la subjectivité de la société marchande.

4. La crise de la société du travail et de la marchandise

Mais revenons au problème de la crise. Ce qui est décisif pour la valorisation réussie du capital, ce n’est pas seulement qu’on travaille, mais que ce travail se représente comme une masse toujours plus grande de valeur. Et il y a deux conditions à cela : d’abord, que l’on produise des marchandises qui rencontrent un pouvoir d’achat, c’est-à-dire qui aient un débouché. Et ensuite, que le travail soit dépensé à la hauteur du niveau de productivité exigé. Or, c’est justement là que se révèle une contradiction interne fondamentale dans le mouvement tautologique de la valorisation. La tendance à l’expansion constante de la base du travail et de la valeur se trouve en effet structurellement contrecarrée par la tendance à l’élévation de la productivité. Alors que la première tend à mettre toujours plus de force de travail en mouvement, la seconde tend au contraire à rejeter la force de travail vivante hors du processus de production, c’est-à-dire à produire toujours plus de marchandises avec toujours moins de force de travail.

Certes, cette contradiction a agi aussi dans toutes les crises précédentes. Mais elle pouvait toujours être provisoirement surmontée grâce à l’intégration de nouveaux champs de production, qui pouvaient donner un nouvel élan à l’expansion vers un nouveau niveau de productivité. Dans cette mesure, cette contradiction agissait même comme un stimulant, parce que chaque développement des forces productives gagnait une extension dynamique de la production pour la production, pour compenser le niveau de rationalisation atteint. En effet, quand chaque marchandise individuelle représente une part de valeur toujours moindre, il faut mettre sur le marché toujours plus de marchandises pour augmenter la masse de valeur globale. Mais on ne peut plus aujourd’hui s’en sortir ainsi. En effet, la révolution micro-électronique n’induit pas seulement un puissant élan de rationalisation dans tous les secteurs et domaines, mais encore elle déplace le centre de gravité de la productivité au niveau de la globalité sociale. Compte-tenu de tout ce qu’il suppose de science, de communication et d’infrastructure, le travail dans son rapport immédiat au produit est réduit à un minimum. Même des nouveaux domaines de produits – comme par exemple la production de téléphones mobiles ces dernières années – ne créent pour cette raison que relativement peu d’ « emplois » supplémentaires, alors qu’en même temps bien davantage sont supprimés ailleurs du fait de la rationalisation. Ainsi, d’une certaine façon, le développement des forces productives a gagné dans sa course contre le mouvement de valorisation. Le résultat, c’est que la production marchande moderne plonge dans une crise fondamentale. Dans une crise qui ne peut plus être résolue à l’intérieur de la forme capitaliste mais qui en marque le limite historique absolue. Cette crise finale n’est certes pas un effondrement ponctuel mais un processus historique qui a commencé dans les années 70 et qui peut continuer encore plusieurs dizaines d’années. Mais le processus est en tant que tel irréversible, et donc ne peut être arrêté , ni par des mesures politiques ni par d’autres interventions, et encore moins être renversé. Car il suit une logique objective qui est le résultat de la contradiction décrite plus haut du mouvement de la valorisation. Ni une politique néokeynésienne d’intervention de l’Etat, ni un nouveau laisser-faire néolibéral du marché ne pourront résoudre cette contradiction fondamentale. Bien plus, celle-ci est, dans le processus de la crise, toujours plus aiguë. En effet, la concurrence globale toujours plus vive pour s’emparer des segments de marché profitables restants accélère encore de son côté la course à la productivité et ainsi la fonte de la substance de la valeur et du travail.

Du coup, la production sur le marché mondial se concentre sur des ilôts toujours moins nombreux, nantis d’équipement hautement technologiques et assurant une hyperproductivité économique et qui, au prix d’ un fort investissement en capital et d’une pression monstrueuse à la performance, utilisent une quantité toujours moindre de travailleurs. Y correspond de l’autre côté un secteur, toujours croissant même dans les centres du capitalisme, de travail précaire et informel. Ce dernier est pour une part directement en prise sur les noyaux de la production du marché mondial : maquilas, entreprises sous-traitantes, outsourcing de toute sorte, etc. Et pour une autre part, il englobe les formes les plus diverses de simple survie : du tout petit commerce aux prestations de service informelles jusqu’à la contrebande, à la prostitution forcée et au trafic de drogue. Globalement, la pression est de plus en plus grande de se vendre à des conditions toujours plus insupportables, et de prendre en plus pour cela des risques mettant sa vie en jeu – par exemple en passant outre à la législation sur les frontières dans l’Union Européenne ou à la frontière du Sud des Etats-Unis. De plus, le processus de crise développe une dynamique monstrueuse qui atteint toutes les formes et les institutions de la société marchande et les détruit en des catastrophes successives.

5. Le noyau de violence du travail et de la production marchande

Au cours de son déclin, la société qui a pour base et travail et la production marchande déchaîne donc de monstrueuses forces de violence et de destruction. En soi, tout ceci n’a rien de nouveau. En tant que système de la domination fétichiste, le capitalisme est par essence violent et répressif. La guerre, l’oppression, le colonialisme, l’exploitation, le dressage de l’être humain, la destruction massive et la misère massive l’accompagnent depuis son commencement. Aucune société n’a vu surgir des excès de violence comparables à justement celle-ci, qui sans pudeur prétend qu’elle est le comble de la civilisation. Certes, on a pu dans les métropoles capitalistes, au cours du vingtième siècle, gagner quelques acquis constituant un progrès, même si c’était dans le cadre étroit de la production marchande, du travail et de l’Etat. Par exemple une situation sanitaire satisfaisante pour plus ou moins tout le monde, un certain niveau de consommation matérielle et une certaine sécurité sociale. Mais ces acquis se trouvent maintenant, sous la pression du processus de crise, de plus en plus remis en cause et de nouveau, le noyau violent et répressif de la société marchande se montre au grand jour.

La logique du travail et de la production marchande commet ses pires dégâts précisément là où il n’est plus possible d’obtenir une valorisation du capital à grande échelle. C’est-à-dire là où, du fait l’effondrement de sa participation au marché mondial, l’Etat national s’écroule et où ce sont maintenant des bandes de rôdeurs qui perpétuent la concurrence, sous la forme de la guerre et du pillage – comme dans de grandes parties de l’Afrique et de l’ancien Bloc de l’Est. Ou là où on interdit à des hommes l’accès à des étendues agricoles, à des bâtiments ou des usines, parce qu’il n’y a plus de débouchés sur les marchés. C’est par exemple largement le cas aujourd’hui en Argentine. On ne s’intéresse pas ici au fait que des hommes meurent de faim alors qu’il y a juste à côté des ressources inexploitées ou abandonnées parce qu’elles ne sont plus « rentables » sous la forme de travail et de production marchande. C’est là que l’indifférence absolue de cette forme sociale pour les besoins concrets des hommes se fait voir dans toute sa dureté. Des ressources n’ont d’intérêt social que lorsqu’elles représentent de la valeur et peuvent être investies pour valoriser de la valeur. Toute autre possibilité d’usage, par exemple l’auto-organisation d’une production de biens de consommation pour des gens qui ont faim mais qui n’ont pas de pouvoir d’achat est déclarée d’entrée inacceptable et, le cas échéant, est empêchée par la force. Ainsi par exemple, quelques usines furent évacuées (pour d’autres, on a pu l’empêcher), alors qu’elles sont sans valeur du point de vue capitaliste ; il s’agissait ici juste de sauvegarder le principe de la propriété privée. Le caractère tautologique de la forme marchande est ici complètement grotesque. La forme sociale doit être maintenue à toute force, en dépit du fait que sa substance, la consommation massive de force de travail humaine, a disparu. Ainsi, le fétichisme du travail et de la forme marchande se transforme au grand jour en entreprise de destruction du monde. Ce qui n’est plus possible à l’intérieur des formes de la société marchande doit ne plus être possible du tout.

6. La fausse métaphysique du travail dans le mouvement ouvrier

La difficulté fondamentale d’un mouvement d’émancipation sociale réside dans le fait qu’il doit se former contre la logique objectivée de destruction et d’anéantissement de la crise fondamentale de la production marchande et du travail. C’est une situation historique fondamentalement différente de celle dans laquelle le plus grand mouvement social dans le capitalisme, le mouvement ouvrier, s’est formé. Certes, il dut aussi s’imposer dans des combats extrêmement durs et sanglants contre de rudes résistances sociales, mais finalement il s’adossait à la dynamique historique du capitalisme qui cherchait à subsumer la totalité du monde sous ses principes. Cette dynamique fut pensée en une forme idéologique fausse, comme ce qu’on appelle le « matérialisme historique », qui n’est dans le fond rien d’autre que la continuation de la métaphysique bourgeoise de l’histoire. Selon cette conception, l’histoire est une succession d’étapes dans un développement permanent vers un progrès. Elle est poussée par un mouvement de développement qui la mène quasi automatiquement au seuil du socialisme ou du communisme. Cet optimisme de principe dans l’histoire, lié à l’objectivisme et au déterminisme, a certes été souvent critiqué. Et pourtant la critique reste superficielle parce qu’elle ne peut pas lier l’illusion grandiose sur laquelle se fonde le marxisme et avec lui le mouvement ouvrier, avec la structure logique interne de la société moderne de la marchandise et du travail. Cette structure logique suit certes des lois objectives, mais ce n’est en aucun cas une logique de développement transhistorique, mais une logique interne à une formation sociale déterminée et limitée historiquement. Une logique de la totalisation de la forme capitaliste et de l’expansion économique sans fin. C’est pourquoi elle doit disparaître en même temps que cette société.

Le marxisme traditionnel et le mouvement ouvrier n’ont pas critiqué cette structure logique, ils l’ont au contraire enjolivée dans une métaphysique de l’histoire, et presque adorée. Le travail en particulier a été littéralement élevé à la dignité d’une religion. Nous pouvons dire sans hésitation que le mouvement ouvrier n’a pas été un mouvement contre le travail, mais un mouvement pour le travail. Il a été le mouvement des vendeurs d’une marchandise, la force de travail, qui luttaient pour leur reconnaissance sociale générale. Et cette lutte fut complètement victorieuse, au moins dans les métropoles capitalistes. Victorieuse dans la mesure où elle parvint à imposer la reconnaissance politique, morale et juridique de tous les vendeurs de force de travail, comme citoyens de l’Etat et sujets du marché. Vu ainsi, le mouvement ouvrier n’a pas été, contrairement à ce qu’il croyait lui-même, un mouvement anticapitaliste, mais au contraire un mouvement pour la modernisation et la domination totale du capitalisme. C’est aussi pourquoi il se heurte à sa limite historique, au moment historique où plus aucune modernisation ou expansion du capitalisme n’est possible, mais où au contraire la société de production marchande entre dans la phase de son implosion.

Mais même si nous pouvons, après coup, reconnaître cela, lorsque nous constatons que le mouvement ouvrier, par essence, n’était pas un mouvement pour l’abolition du capitalisme, cela ne signifie pas forcément qu’il a été totalement dans la logique de la modernisation du capitalisme. Presque toujours, il entraînait aussi des moments et des impulsions émancipateurs qui allaient au-delà. Cela ne vaut pas seulement pour les représentations et les efforts subjectifs de nombreux acteurs de ce mouvement, mais cela s’est exprimé aussi, dans des conditions historiques particulières, dans des tentatives pratiques. Je pense ici à des tentatives d’auto-organisation non-hiérarchiques dans le mouvement des conseils, dans les kibboutzim ou dans la révolution espagnole, pour indiquer quelques exemples. On peut d’ailleurs dire des choses analogues à propos d’autres mouvements sociaux de l’histoire du capitalisme, comme par exemple les mouvements de libération anticolonialistes ou les nouveaux mouvements sociaux depuis 1968. Certes, eux aussi se sont tous révélés après coup être des mouvements de modernisation. Ainsi les mouvements de libération anticolonialistes sont devenus des tentatives plus ou moins ratées de formation tardive d’Etats nationaux et d’intégration dans le marché mondial. Le mouvement de 68 a mené à son terme les tendances du capitalisme à l’individualisme. Pourtant ils ont aussi contenu en partie un excédent émancipateur qui s’est exprimé tant dans la critique sociale que dans la pratique. Ce sont en tout cas des moments incompatibles avec la logique de modernisation, moments d’excédent émancipateur qui ont toujours été neutralisés, digérés et déformés par le puissant appel de la tendance objectivée, capitaliste, à la totalisation.

7. Résistance et émancipation sociale

Au contraire du mouvement ouvrier, un nouveau mouvement d’émancipation sociale n’aurait dans la situation historique actuelle aucune logique historique objective à laquelle s’adosser. Bien plus, il devrait – je l’ai déjà dit – se former contre la dynamique objective du processus capitaliste de la crise. Le danger auquel il s’exposerait n’est pas que sa critique, ses luttes et ses tentatives pratiques d’émancipation puissent être transformées en moments de la modernisation capitaliste. Au contraire, le danger qui le guette est d’être écrasé par la dynamique de destruction et d’anéantissement de la crise capitaliste. La question d’une rupture radicale avec les formes capitalistes et sa logique fétichiste se pose pour cette raison aujourd’hui, non pas seulement de manière fondamentale, mais comme une nécessité existentielle.

C’est justement pour cela qu’une critique radicale des formes sociales qui sont la source de cette menace d’anéantissement ; et une analyse claire de la crise fondamentale dans laquelle elles sont plongées est terriblement importante. Il faut que ce soit clair : ces formes ne sont pas seulement répressives et dominatrices comme depuis toujours, mais qu’essentiellement elles n’ont même plus la moindre perspective de vie quelque peu acceptable à offrir aux hommes, au contraire : elles n’ont à offrir que la destruction et l’anéantissement. Comprendre cela, c’est le préalable à toute résistance conséquente et radicale contre toutes les restrictions et les répressions qui sont aujourd’hui mises en place par les gouvernements et la logique du marché avec de moins en moins de scrupules, et qui vont toujours s’aggraver. Celui qui, face à cela, croit sérieusement que de telles mesures peuvent aider à résoudre la crise, même au prix de nombreux et douloureux sacrifices, celui-là est finalement toujours victime d’un chantage. J’avais, en commençant mon exposé, noté que la critique néokeynésienne du néolibéralisme ne peut qu’échouer parce qu’elle-même se situe sur le terrain de la politique, c’est-à-dire qu’elle croit à de solutions politiques de la crise. Mais ainsi, elle scie la branche sur laquelle elle est perchée. Car elle doit, conformément à la logique politique, aboutir nécessairement au point de devoir abandonner les revendications d’un Etat social qu’elle avait elle-même formulées, dès qu’il s’avère qu’il n’y a plus la substance capitaliste pour les rendre possibles. C’est la raison structurelle qui explique que les sociaux-démocrates du monde entier se transforment en gestionnaires de la crise néolibéraux les plus durs dès qu’ils sont au gouvernement.

Je voudrais toutefois soulever ici un point important. Le fait qu’il n’y a pas de solution politique à la crise présente, donc le fait que la politique se heurte à la limite de son action, ne doit pas être compris comme l’impossibilité absolue et définitive d’éviter la liquidation des systèmes de protection sociale et les restrictions qui en découlent. Une telle impossibilité ne s’impose que dans la perspective de sauver la logique d’un système – ce qui de plus est une fiction. Quand on admet qu’il est impératif de prendre part à la concurrence destructive par dumping pour obtenir aux meilleures conditions les secteurs toujours plus rares de la valorisation du capital, il est évidemment inévitable de baisser toujours plus les salaires, d’expulser les immigrés, de supprimer les indemnités sociales et les dépenses de santé, etc.

Un mouvement social qui au contraire n’accepte pas cet impératif peut se protéger de manière tout-à-fait offensive contre ces mesures et même, sous certaines conditions, les bloquer et les empêcher. Cela ne suppose pas seulement une certaine force et une mobilisation, mais avant tout un rapport à l’Etat et au système de production marchande dans son ensemble qui soit complètement dépourvu d’illusion. Il ne peut pas être question de vouloir prendre les rênes de l’Etat. Non seulement parce qu’il a toujours été un appareil de domination, mais parce que dans le processus de la crise il ne peut jamais être qu’une instance répressive d’exclusion sociale. Le but, ce doit plutôt être d’arracher les ressources sociales à la logique de destruction de la société marchande, pour les employer à satisfaire des besoins concrets. Mais ce ne serait plus alors de la politique mais de l’antipolitique. L’antipolitique, cela signifie prendre au sérieux l’Etat comme adversaire. Car d’abord il administre toujours – au moins dans les métropoles capitalistes–une énorme part de la richesse sociale (au moins entre 40 et 60 % du produit social brut), et ensuite il assure l’ordre dominant grâce à son appareil de violence et de répression. Mais l’antipolitique ne vise pas à conquérer l’Etat ou à imposer une « autre politique », mais à supprimer l’Etat.

Et ce n’est pas une contradiction de défendre les acquis comme une protection sanitaire pour tous, des prestations sociales ou un niveau de salaire contre les coups de boutoir des programmes néolibéraux, même si cela doit aller dans la perspective de l’abolition de la production de marchandises et l’abolition de l’Etat. Car tant que ces formes sociales durent – même en crise – il reste nécessaire de se défendre contre ses attaques. De plus, un mouvement d’émancipation sociale ne peut s’amorcer qu’à partir de luttes, de conflits et de contradictions. Mais même ces luttes, comme je l’ai dit, ne peuvent être menées de manière conséquentes que si toutes les tentatives de chantage à partir de la logique du système ont été repoussées. C’est pourquoi elles ont comme condition une critique radicale du système de la production marchande et du travail, de même que la conviction que ce système se heurte à sa limite historique absolue.

A partir de là, une perspective d’émancipation se dégage pour ainsi dire d’elle-même. Elle ne peut consister qu’en une appropriation à grande échelle des ressources sociales, des moyens de production et d’existence, pour leur donner d’autres formes d’auto-organisation sociale au-delà des relations marchandise-argent et d’administration par un Etat. Il y a toujours eu des tentatives dans cette direction et il y en a encore auiourd’hui dans de nombreux mouvements de contestation, par exemple aujourd’hui en Argentine, où ce ne sont pas seulement quelques cent usines, mais aussi quelques hôpitaux qui ont été repris et qu’on a continué à gérer de manière autonome. Certes, ces tentatives restent minoritaires, et en règle générale il leur manque la conscience d’une perspective radicale pour l’avenir. Et surtout il leur manque la liaison avec un mouvement d’émancipation fort et nécessairement transnational qui n’existe pas encore aujourd’hui. Mais ces actions d’appropriation de ressources sociales manifestent les premiers pas dans la direction d’une abolition de la société le la marchandise et de l’argent.

Traduction: Gerard Briche

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